« Alimentation et pratiques parentales, conséquences sur les enfants »

Quand réseau social et boulimie ne font pas bon ménage

La boulimie est un trouble alimentaire difficile à traiter et, depuis les cinquante dernières années, son incidence a significativement augmenté. Pour la prévenir et définir des stratégies de traitement efficaces, il est important d’identifier les facteurs qui favorisent son déclenchement et son maintien.

Mauvaise image corporelle et troubles alimentaires

La « théorie de l’élaboration interpersonnelle » postule que les troubles alimentaires surviendraient en réponse à des interactions sociales infructueuses et auraient pour fonction de restaurer l’estime et la perception de soi. Diverses études ont montré que des situations interpersonnelles éprouvantes peuvent déclencher des comportements de gavage. L’une rapporte que des femmes estimant avoir été rejetées par leur pairs mangent 2 fois plus de cookies que celles qui ne l’ont pas été (9 vs 4).

Cette théorie souligne également que la survenue de troubles du comportement alimentaire accentue les problèmes interpersonnels qui, en retour, aggravent l’intensité des troubles… Une étude longitudinale a montré que les femmes focalisées sur les réactions négatives des autres présentaient une insatisfaction corporelle et une augmentation des symptômes boulimiques. Des sources indirectes d’évaluation, comme les comparaisons sociales, peuvent également engendrer une mauvaise image corporelle et des troubles alimentaires. Ainsi, des femmes se comparant à un échantillon de femmes très minces présentent une plus forte insatisfaction corporelle que celles qui se comparent à des femmes de poids normal. Des stimuli indépendants de l’apparence peuvent avoir des effets négatifs sur les troubles alimentaires. On a constaté que les étudiantes qui lisent les profils de leurs pairs ayant réussi présentent une plus forte insatisfaction corporelle et plus de comportements restrictifs alimentaires que celles qui regardent les profils de pairs ayant échoué.

Les risques d’une utilisation inadaptée de Facebook

Les auteurs de cette publication se sont intéressés à l’influence possible des réseaux sociaux actuels – Facebook en l’occurrence – sur l’insatisfaction corporelle et le comportement alimentaire. D’un côté, en facilitant la construction de relations sociales et en permettant des évaluations potentiellement positives qui renforcent l’estime de soi, Facebook peut avoir des effets bénéfiques sur l’image corporelle et les troubles alimentaires. D’un autre, l’usage de ce réseau social peut être mal adapté, si on l’utilise par exemple pour se livrer à des évaluations négatives et des comparaisons sociales. Une telle utilisation peut être particulièrement pernicieuse chez des femmes dont la propension aux troubles alimentaires est liée à des difficultés interpersonnelles. On a montré que FB pouvait exacerber les problèmes interpersonnels chez des sujets ayant une faible estime d’eux mêmes. Selon une étude, ces derniers publient plus de propos négatifs et reçoivent moins de commentaires en retour, comparés à ceux qui ont une bonne estime d’eux mêmes.

Les réseaux sociaux offrent aujourd’hui un accès sans précédent à des comparaison sociales. Les auteurs se sont donc demandés si un mauvais usage de FB pouvait exacerber les troubles alimentaires au fil du temps. Ils ont émis l’hypothèse qu’un tel usage pouvait conduire à une insatisfaction corporelle qui, à son tour, pourrait engendrer des symptômes boulimiques. Un usage inadapté de FB a été défini comme une « tendance à rechercher des évaluations sociales négatives et/ou à se livrer à des comparaisons sociales ». Ils ont plus particulièrement étudié l’insatisfaction corporelle comme un médiateur possible de la relation entre un mauvais usage de FB et les symptômes boulimiques.

Quels liens entre Facebook et les troubles alimentaires ?

232 étudiantes, âgées de 17 à 35 ans, ont participé à cette étude. Elles ont rempli un questionnaire par internet, à deux reprises (T1, T2), séparées de 4 semaines. Les auteurs ont créé une échelle de mauvais usage de FB sous la forme d’un questionnaire à 7 items, dont, par exemple: « Lire les publications des autres personnes me fait me sentir mal dans ma peau » ou « J’ai tendance à lire le statut des autres dans le but de voir s’ils se sentent dans le même état que moi ». La réponse à chaque item a été cotée de 1 ( » je ne suis pas du tout d’accord ») à 7 (« je suis fortement d’accord »), un score élevé indiquant une plus forte tendance à rechercher des comparaisons sociales et des évaluations négatives.

Pour évaluer le comportement alimentaire et l’insatisfaction corporelle, les auteurs ont utilisé des questionnaires validés comme l’EDI (Eating Disorder Inventory à 64 items), la sous échelle de boulimie et la sous échelle d’insatisfaction corporelle, ainsi que d’autres comme l’EDEQ-4 (Eating Disorder Examination Questionnaire-4) et le DIRI-RS, évaluant le besoin de réassurance auprès des autres. Des analyses statistiques ont ensuite évalué les inter corrélations entre ces différents facteurs.

Plus de boulimie et d’insatisfaction corporelle

Première constatation : un score élevé d’usage inadapté de FB à T1 prédit de manière significative l’augmentation des symptômes boulimiques et les épisodes de suralimentation à T2 (4 semaines plus tard). De même, un mauvais usage de FB est associé à une augmentation de l’insatisfaction corporelle. En outre, les données statistiques ont confirmé que l’insatisfaction corporelle faisait pleinement le lien entre le mauvais usage de FB et l’augmentation des épisodes de suralimentation et que cette relation était partielle avec l’augmentation des symptômes boulimiques en général.

Cette étude est la première à examiner l’impact des réseaux sociaux sur les troubles alimentaires. Les résultats obtenus confortent la théorie de l’élaboration interpersonnelle qui stipule que les individus présentent des troubles du comportement alimentaire en réponse à des interactions sociales déplaisantes pour tenter d’apaiser des feed back négatifs et renforcer l’estime de soi.

Cette pubication apporte enfin des arguments qui soulignent que les réseaux sociaux peuvent avoir un impact négatif sur la santé mentale. Repérer et tenter de réduire un mauvais usage de FB peut représenter un objectif fructueux pour des interventions visant à diminuer l’insatisfaction corporelle et les troubles alimentaires.

Thierry Gibault
Nutritionniste, endocrinologue, Paris - FRANCE
Smith AR, Hames JL, Joiner TE Jr. Status update: maladaptive Facebook usage predicts increases in body dissatisfaction and bulimic symptoms. J Affect Disord. 2013 Jul;149(1-3):235-240
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